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Femmes victimes de violences conjugales : une nouvelle ordonnance de protection !

Le 07 octobre 2021
Les violences conjugales sont un fléau que le législateur tente de juguler par un arsenal textuel continuellement amélioré et qui doit encore évoluer.

Déjà plusieurs textes – Depuis le référé violences conjugales de la loi n°2004-439 du 24 mars 2004 dont le dispositif était limité aux couples mariés, la loi n° 2010-769 du 9 juill. 2010 a institué un nouveau dispositif permettant au juge aux affaires familiales de délivrer une ordonnance de protection au bénéfice de la victime de violences exercées au sein du couple, visé aux nouveaux art. 515-9 et s. c. civ.

Cette première version de l’ordonnance de protection permettait la saisine du juge sur requête ou assignation en la forme des référés, aux fins d’ouvrir un débat respectueux du contradictoire, introduisant le contrôle du juge sur les notions de « raisons sérieuses », de « vraisemblance des violences » et du « danger » : « s’il estime, au vu des éléments produits devant lui et contradictoirement débattus, qu’il existe des raisons sérieuses de considérer comme vraisemblables la commission des faits de violences allégués et le danger auquel la victime est exposée ». Ce dispositif a démontré une utilisation croissante mais trop peu effective avec un délai moyen de délivrance de l’ordonnance de 42,4 jours, un taux d’acceptation de 60% et une grande disparité de jurisprudence selon les juridictions.


C’est dans ces conditions que de nouveaux textes ont été pris à la suite du Grenelle des violences conjugales, dont principalement les lois des 28 déc. 2019 et 30 juill. 2020 (réécrivant le dispositif de l’ordonnance de protection afin de répondre à plusieurs préoccupations : un traitement en urgence de la violence au sein du couple afin de mieux protéger la victime, une meilleure articulation de l’action du ministère public pour traiter les faits les plus graves, appréhender certains comportements et éviter la récidive et, enfin, empêcher les rapprochements entre l’auteur et la victime).


La saisine du juge aux affaires familiales s’effectue désormais par requête, contenant un exposé sommaire des motifs et des pièces justificatives, au vu de laquelle le juge rend sans délai une ordonnance fixant la date d’audience, à signifier au défendeur dasn les deux jours de sa délivrance, la décision de protection ou de rejet devant elle-même être rendue dans un délai de six jours à compter de cette ordonnance, dans le respect du principe du contradictoire et des droits de la défense.
 
Des législations étrangères dont on peut encore s’inspirer – Si cette volonté de célérité est extrêmement louable, il continue d’exister un certain nombre de difficultés d’articulation de la procédure et de fond permettant de penser que le dispositif n’est que transitoire et qu’il doit encore être amélioré.
Il est à ce titre particulièrement intéressant de considérer les législations d’autres pays aux fins de s’inspirer d’autres modes de traitement des violences conjugales :


Exemples :

L’Espagne a mis en place une législation destinée à apporter une réponse immédiate et massive aux faits de violences conjugales en créant des tribunaux spécialisés ouverts 24h/24 et 7J/7, les textes, genrés, préjoyant, d’une part, que seules les femmes sont protégées contre un conjoint ou un ex, sans critère de cohabitation, bénéficiant de la faculté d’obtenir une ordonnance de protection provisoire par précaution s’il existe un risque objectif pour la vie ou l’intégrité physique, sexuelle ou morale. Il faut démontrer des faits constitutifs de violences conjugales, un risque objectif pour la victime ou le non-respect d’une mesure de protection à caractère pénal.

Par ailleurs, pour les violences familiales prises de manière générale, c’est-à-dire pour toutes les personnes de la famille, il y a toujours un juge de permanence au tribuna général et il est possible de solliciter la délivrance d’une ordonnance de protection en urgence, sans audience, le juge n’étant alors compétent que pour prononcer des mesures à caractère prénal.

S’agissant de la procédure de l’ordonnance de protection : les deux parties sont convoquées à une audience mais l’absence de l’une d’elles n’empêche pas l’audience de se tenir ; le parquet doit être présent à l’audience et y donner son avis pour une décision prononcée dans un délai maximal de 72h pour une durée de trente jours prolongeable pour une durée de 30 jours supplémentaires si une requête a été déposée auprès du juge aux affaires familiales qui pourra alors compléter, amender ou supprimer des mesures prononcées.


En Californie (Etats-Unis), il existe plusieurs types de protection en fonction de la violence, du danger et de la rapidité recherchée offrant une réponse judiciaire graduée et adaptée :


-        l’ordonance de protection d’urgence (EPO) demandée par la police au juge pénal (24/7) nécessitant de démontrer une menace imminente de violence pour la victime ou les enfants et permettant l’expulsion de l’auteur des violences du domicile familial, une interdiction de contact pour une duré de cinq jours ouvrés ou sept jours calendaires ;
-        l’Extrem risk protection order : à la suite d’une audience, possibilité de retrait d’une arme en cas de menace de violence ou de violation d’une ordonnance de protection déjà existante ;
-        l’ordonance de protection temporaire (TRO) prononcée par le tribunal le jour de la demande, le cas échéant sans audience et permettant l’expulsion de l’auteur des violences du domicile familial, la fixation de la résidence des enfants, l’organisation des droits du parent violent et la jouissance des biens communs ;
-        l’ordonnance de protection permanente (ROAH) prononcée pour cinq ans, sur le siège, à la suite d’une audience contradictoire fixée quatorze jours après la demande, la victime devant démontrer les faits de violence par tous moyens.


L’Allemagne a prévu des injonctions pénales prononcées par la police en cas de danger imminent pour une durée de dix jours permettant que soient ordonnés l’expulsion du domicile familial et l’interdiction de se rendre dans une zone déterminée. Une chambre dédiée à la famille dans les tribunaux communaux peut en outre prononcer une ordonnance de protection de droit civil pour une durée de six à douze mois, le cas échéant en référé en cas de danger immédiat, s’il est prouvé de manière crédible que des sévices, des menaces ou du harcèlement se sont produits ou existent.


En Autriche, il existe à nouveau deux types de mesures : une ordonnance d’urgence d’interdiction à caractère administratif pour deux à quatre semaines, qui peut être prononcée par la police aux fins d’expulsion du domicile familial, d’interdiction de se rendre à proximité du domicile familial ou ses environs, de se rendre à proximité de l’école lorsque les enfants sont en danger, avec une confiscation systématique de la clé du domicile familial ; et une ordonnance de protection civile judiciaire sur rapport adressé par la police au tribunal avec remise de la clé du domicile familial au juge, les services de police étant responsables de l’application de l’ordonnance de protection si elle est ordonnée.


En conséquence, on voit que la plupart des législations étrangères, qui disposent de mesures de protection efficaces, ont privilégié une ordonnance de protection en deux temps :


·       Une ordonnance d’éloignement immédiate prononcée par une juge sans délai, afin de prévenir un danger immédiat sur requête motivée et documentée sans débat contradictoire ;
·       Puis un débat contradictoire qui permet de confirmer, modifier, révoquer l’ordonnance de protection prononcée en urgence.


De quoi inspirer l’instauration d’un autre système en France ?


Les failles de notre dispositif – La réforme issue de la loi du 28 déc. 2019 – la plus significative depuis la loi du 4 août 2014 – est un véritable arsenal de dispositions nouvelles avec pour seul et unique but : la protection totale des victimes de violences conjugales.


Cependant, si le législateur a crée un panel impressionnant de mesures, il n’a pas souhaité modifier les textes du 1eroct. 2010, « socles » de la délivrance de l’ordonnance de protection, qui sont les art. 515-9 et 515-11 c. civ. : « Lorsque les violences exercées au sein du couple (…) mettent en danger (…) le juge aux affaires familiales peut délivrer en urgence (…) une ordonnance de protection » et « L’ordonnance de protection est délivrée, par le juge aux affaires familiales (…), s’il estime (…) qu’il existe des raisons sérieuses de considérer comme vraisemblables la commission des faits de violence allégués et le danger (…) ».


C’était pourtant l’occasion de supprimer l’une des deux conditions permettant la délivrance de l’ordonnance de protection à savoir le « danger » vraisemblable qui peut parfois être un frein à la protection.


En effet, certaines décisions, nonobstant des violences vraisemblables, caractérisées et stigmatisées, déboutent des demandes d’ordonnances de protection ou infirment celles rendues, faute d’un danger vraisemblable. Ces décisions procèdent d’une stricte application des textes susvisés. Le fait est qu’elles sont souvent éloignées de l’objectif des politiques publiques d’enrayer la violence conjugale et d’en protéger toutes ses victimes. Celles-ci d’abord, les praticiens de la matière ainsi que tous les professionnels qui les assistent ensuite, ne peuvent que difficilement intégrer ce raisonnement - peu cohérent – avec l’objectif recherché.


Il est opportun de citer certaines décisions afin d’illustrer l’écueil.

Exemples – Malgré la vraisemblance des violences exercées par l’époux, il a été retenu : « que postérieurement aux premiers faits de violence, la vie commune s’est poursuivie et que Mme M. n’a engagé aucune démarche de séparation ; qu’il ressort des déclarations de Mme M. aux services de police (…) qu’aucun changement n’était intervenu dans la vie des époux après la seconde plainte ; que dans cette plainte, Mme M. déclarait que si elle avait du mal à communiquer avec son mari, ce dernier n’était pas méchant et n’avait pas un mauvais fond ; qu’il ressort de ces éléments qu’à la date à laquelle le premier juge a statué, il n’était pas établi que les violences exercées par le mari à l’encontre de son épouse la mettaient en situation de danger ; que les conditions de délivrance d’une ordonnance de protection n’étaient donc pas remplies en l’espèce » ; « même si la réalité des blessures de Mme F. a effectivement été constatée par un certificat des UMJ, au regard  des pièces versées aux débats, la preuve que les lésions relevées sur l’épouse soient imputables à des violences commises par M. C. ne peut apparaître en l’état suffisamment vraisemblable, alors que le seul témoignage présenté, qui est celui de sa sœur, ne fait état que des confidences recueillies auprès de l’intimée » ;


« Les deux certificats médicaux produits sont des éléments objectifs ayant observé des hématomes sur le corps de Mme X (…). En tout état de cause (…) à la date de l’audience les parties sont séparées de fait depuis plusieurs mois, (…) le danger actuel auquel la demanderesse serait encore confrontée, nécessaire pour l’octroi d’une ordonnance de protection n’est pas établi ».


Ces motivations sont difficilement critiquables si l’on rappelle que le caractère cumulatif des conditions de violences et de danger, l’actualité de danger requise par la jurisprudence ainsi que l’appréciation des conditions qui révèlent du seul pouvoir souverain d’appréciation du juge aux affaires familiales
En revanche, la critique est audible à la lecture de décisions qui, soient balaient le critère légal de « vraisemblance » au produit de celui de la « réalité » qui n’en est pas un : « (Madame) n’établit en rien la réalité des violences psychologiques alléguées » ou « les trois faits distincts (…), à les supposer avérés (…) traduisent une réactivité parfois excessive », soit confondent disputes de couples et violences conjugales : « elle fait également état de douleurs cervicales ultérieures constatées (…) ainsi que d’une dispute (…) reconnue par (Monsieur) sans que (Madame) n’ait alors déposé de plainte et de main courante (…). Si (Monsieur) reconnait lui avoir fait mal et avoir eu un comportement répréhensible (…) cette seule altercation (…) s’inscrit dans une situation de séparation au sein du couple (…) et ne permet pas (…) de retenir la vraisemblance de faits de violences imputables à (Monsieur) qui auraient exposé (Madame) à une situation de danger ». Il ressort de l’ensemble une inadéquation des textes, cumulant – pour délivrer l’ordonnance de protection – vraisemblance des violences et danger actuel, avec la volonté du législateur de prévenir et de protéger les victimes de violences conjugales.


Cela étant, on peut mesurer et comprendre une certaine frilosité des juges aux affaires familiales à délivrer des ordonnances de protection. Il s’agit pour eux de revêtir une casquette pénale qui revient à faire application de deux textes, sorte de prévention au civil (C.civ., art. 515-9 et 515-11), dont les mesures sont privatives de liberté, aux allures de peines principales et complémentaires, qui ne relèvent pas naturellement de leur domaine initial.


De plus, il est assez acrobatique d’ériger en conditions de délivrance de l’ordonnance de protection les notions de « violences » et de « danger », sans jamais les définir. Si l’on reprend la définition de la violence au sens de l’OMS, elle englobe « les atteintes qui compromettent le bien-être individuel et familial ». C’est dire si le champ est large. Il faut relever que de nombreux pays définissent la violence dans le cadre de leur dispositif de protection et l’envisagent sous plusieurs formes. C’est le cas notamment en Irlande, Italie, Finlande, Suède, Suisse, Serbie, aux États-Unis, au Portugal ainsi qu’à l’Ile Maurice. 


En l’état, l’on ne peut que s’interroger sur la pertinence de décisions « mécaniques » qui retiennent l’existence de violences mais qui, faute de démontrer un danger actuel, n’ordonnent pas la protection.
Peut-on valablement continuer à déconnecter les notions de « violences » et de « danger » ? Le danger n’est-il pas inhérent à la violence ?


A ce titre, il faut rappeler la « clause de l’Européenne la plus favorisée », portée dès 1979 par Mme Gisèle Halimi, permettant l’harmonisation des règles par le faut en faisant bénéficier à toutes les citoyennes européennes de la législation la plus avancée dans l’Union. Cependant, le 20 mars 2010, l’Assemblée nationale rejetait la proposition de résolution européenne visant à introduire cette clause. Il semble plus que jamais indispensable que le législateur revienne sur ce projet. Un travail récent de droit comparé illustre l’intérêt évident de s’inspirer des dispositifs les plus performants de nos voisins européens et d’ouvrir ainsi de nouvelles perspectives.


En droit français, il ne semble pas insurmontable de supprimer la condition de danger visée aux art. 515-9 et 515-11 c. civ. au seul profit de la condition de violences conjugales vraisemblables ouvrant droit aux mesures de protection. Certains pays comme l’Espagne, les États-Unis ou l’Allemagne évoquent en lieu et place de la notion de « danger », celles de « risque », de « menace imminente » ou requièrent la preuve de manière crédible de sévices, menaces ou harcèlement.


Proposition de réécriture des textes – En conséquence, nous proposons une réécriture des art. 515-9 s. c. civ. aux fins de :

-        Disposer d’une procédure d’ordonnance de protection en deux temps permettant au juge aux affaires familiales de permanence de rendre immédiatement une ordonnance d’éloignement et d’interdiction de contact non contradictoire et applicable de suite, le cas échéant avec le concours de la force publique, puis, dans un second temps, d’ores et déjà fixé dans la première ordonnance, d’ouvrir un débat contradictoire respectueux du débat contradictoire et des droits de la défense ;
-        Rendre effective la présence du parquet dans la procédure d’ordonnance de protection en créant un parquet civil dédié et en rendant sa présence et son avis obligatoires à l’audience contradictoire et en appel ;
-        Imposer un délai impératif en appel de l’ordonnance contradictoire, la décision devant être rendu sous six à huit semaines ;
-        S’interroger sur la faculté pour le parquet de prononcer une ordonnance immédiate sur demande motivée d’un avocat, une association habilitée ou une partie, sur pièce, sans enquête pénale nécessaire permettant l’éloignement jusqu’à l’audience contradictoire ;
-        Supprimer la notion de « danger » de l’art. 515-9 c. civ. ;
-        Définir la notion de « violence », le cas échéant en ajoutant à l’art. 515-11 c. civ. : « (la commission des faits de violence allégués) et notamment : des antécédents de violences, leur réitération, des dépôts et retraits de plainte, des mains courantes, des pathologies médicales, de l’emprise, de la consommation de produits stupéfiants et/ou d’alcool, des menaces, des insultes (sur un ou plusieurs enfants) ».
-        Rendre effective la jouissance de plein droit par la victime du domicile familial par la confiscation des clés du domicile, l’interdiction de se rendre à proximité du domicile familial, du travail, ou de l’école des enfants pour l’auteur, l’interdiction de tout contact ;
-        Intégrer des mesures de protection économique à l’art. 515-11 c. civ. ;
-        Corréler la violence conjugale et les mesures afférentes aux enfants en suspendant de plein droit le droit de visite et d’hébergement du parent violent ou en le médiatisant ;
-        Permettre des notifications allégées des décisions de protection : par voie électronique, par lettre recommandée électronique (AR24), par WhatsApp, une application dédiée, afin d’éviter les délais de signification par huissier notamment dans les outre-mers où ils ne peuvent répondre aux exigences légales trop brèves.

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